Monica dort dans la rue
<

A tous les Monica.

Chère Strasbourg,

J’ai quelques mots à te dire…

Rentrant de soirée, emmitouflée dans mon manteau samedi vers 3H du matin, je grelotais. En passant devant la boulangerie Wilson rue d’Austerlitz, j’ai remarqué dans la pénombre une masse à même le sol enroulée dans un plaid bleu lumineux trop fin, sur un sac de couchage quant à lui aussi trop fin. Une petite tête dépassait accroché à un corps recroquevillé et apparemment endormi.

J’étais là à me plaindre (auprès de mon compagnon) d’avoir froid et cette femme là, à même le sol, était confrontée au « vrai » froid. Elle connait la misère des nuits froides, celles qui glacent jusqu’au sang* quand il faut s’allonger dans la rue et tenter de s’endormir quelques minutes entre deux éclats de voix d’étudiants bourrés.

Je la recouvre avec une couette, souvenir de mes années étudiantes. Il faut se le dire, elle lui sera plus utile qu’à ma nostalgie. Ce geste la tira de son demi-sommeil glacé et son sourire signifiait « merci ».

Ce même samedi à 21H cette fois-ci, avec mon compagnon nous nous rendions à une autre soirée. Elle était à nouveau devant cette boulangerie, emmitouflée dans son plaid et sa nouvelle couette. A cette soirée, j’ai fait la rencontre d’une assistante sociale qui m’explique qu’il faut harceler le 115 pour une prise en charge… Il faisait plus froid que la veille et l’air était devenu humide. Retour de soirée, elle est toujours là, un petit parapluie couvrant sa tête.

Monica femme invisible sdf
Monica, femme invisible sur sa couette.

Sentiment d’impuissance.

Chez moi, je réfléchis à la situation et je retourne voir cette inconnue. Les rebords de la couette avaient pris l’eau… Je la réveille, elle maugrée puis s’exclame en me reconnaissant « ah c’est toi ? » Elle se redresse et ramenant la couette à elle, un souffle chaud s’échappe d’un soupirail depuis la cave de la boulangerie. Telle est la raison qui la pousse à dormir s’allonger sur cette artère bruyante.

Je lui propose de dormir dans mon hall d’immeuble. Avec mon compagnon, on récupère la couette, le sac de couchage et le plaid, ses uniques richesses. C’est pas le palace, c’est un hall. (Certes ce n’est pas non plus chez moi, vos envolées de critiques peuvent se lâcher, « je n’en ai cure »). Je lui descends un oreiller, de l’eau et un poncho en plastique assez grand pour la recouvrir. Je réussis à trouver un endroit pour suspendre la couette mouillée. L’odeur était insoutenable… et ceux qui me connaissent savent à quel point j’y suis sensible. Je la prends dans mes bras… Elle me souris. J’étais à moitié fière de moi. Il est 4H.

que faire pour Monica ? rechercher de l’aide ?

Le lendemain, dimanche, à mon réveil elle était partie. Je décide de glisser un mot sur ma story instagram. Espérant qu’une personne ait un sac de couchage chaud et étanche. Quelques heures plus tard, Fabrice (@tomy_wazek) me répond. Le RDV est pris pour le soir même. Il arrivera avec une trousse de toilette fournie, 10 paires de chaussettes, 2 écharpes,  serviettes, pull, des gants, un bonnet et un… sac de couchage. J’y ajouterais un chariot de course imperméable, l’oreiller, le poncho, une bouteille solide pour l’eau. Est-ce réellement le strict nécessaire pour survivre dans la rue ?

Nous la réveillons. Elle se redresse, nous sourit et nous restons quelques minutes pour échanger. Ses premiers mots : « comme Princesse Diana » en montrant ce que nous lui avons apporté.

Monica parle un mélange d’espagnol, de polonais et de russe. Une assistante sociale lui aurait annoncé l’obligation de quitter son appartement de Lingolsheim 6 mois plus tôt. Elle aurait les numéros en tête de 2 personnes, peut-être ses enfants ?! Elle montre le SDF qui dort en face dans l’entrée de la boucherie Frick Lutz et lui lance un doigt d’honneur au milieu de gros mots. Nous décodons qu’il la bat ou qu’il y ait un différent entre eux.

Fabrice est conducteur à la Sncf. Il me glisse « je l’aide car j’ai déjà dormi dans la rue. Il n’y a que quelqu’un qui a connu une telle galère qui aide les SDF » Je ne suis pas vraiment d’accord et j’espère que vous me donnerez votre opinion.

Je suis congelée. Il est temps de la quitter. Fabrice lui fait la bise. Elle me fait à son tour un câlin. Elle sentait fort la pisse mais elle avait les yeux qui pétillent.

Lundi soir 23H, il pleut des cordes et il fait 6 degrés.

J’ai pas pu m’empêcher d’aller vérifier si tout était ok pour Monica. L’endroit était vide et trempé. Inquiète, j’ai regardé en face, j’ai reconnu la couette de mes études. J’étais prête à en découdre avec cet sdf que Monica désignait hier comme la « pute » qui la frappait.

D’une voix menaçante (frêle en réalité 😅), j’ai tiré sur la couette en demandant où était Monica. Il se réveille en sursaut et me montre Monica, profondément endormie et recroquevillée contre lui. Il me sourit et levant le bras au ciel chargé de pluie, il s’exclame « catastrophe ! » Lui aussi ne parlait pas français.

2 sourires, 1 lit de fortune, beaucoup de chaleur à l’entrée du Frick Lutz, rue d’Austerlitz.

Et maintenant, quoi de concret pour Monica ?

Je lance un appel citoyen :
– Qui comprend l’espagnol ? Pour comprendre son histoire, appeler ses proches.
– Qui peut sortir Monica de la rue ?
– Qui veut bien lui offrir des culottes (taille M) ?

Je lance aussi un appel à la ville de Strasbourg :
– Est-il possible que dans un futur très proche, il y ait une douche et des toilettes nettoyées tous les jours et accessibles à toute heure pour les sans-abris ? Avec un petit coin où ils pourront récupérer des habits (chauds) de rechange. Qu’en pensez-vous ?

Je partage, ceci était affiché dans un magasin de la Krutenau :

Monica 5
Noël J-30

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *